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BIOGRAPHIE DE CHEIKH SIDI MOHAMMED IBN AL-HABIB

Traduit par

Le Serviteur de la Tariqa El Habibiya

 Celui qui mendie la miséricorde

Chouiakh Mohamed

 

 

Au nom de Dieu, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux.

Que Dieu bénisse et donne paix à notre seigneur et notre maître Mohammed, aux siens et à ses compagnons.

        Grâce soit rendue à Dieu, le Donateur et le Bienfaiteur par excellence, qui fit se lever à toutes les époques et dans tous les lieux des êtres qui guident les créatures vers le Roi adoré et véritable. Grâce soit rendue à Dieu qui choisit pour Lui qui Il veut pour demeurer en Sa présence et qui les attire par le biais des gens qui Lui sont proches et qui L’aiment, tout cela par la prévenance de Sa providence.

L’honneur le plus élevé et la plus excellente paix sur la plus noble des créatures, celui qui fut envoyé comme miséricorde pour les mondes, le sceau des prophètes et des messagers, l’aimé du Seigneur des mondes, notre seigneur et notre maître, Mohammed, ainsi que sur les siens qui sont purs, sur ses très nobles compagnons et quiconque les suit par l’excellence de sa vie jusqu’au Jour du jugement.

          Le pauvre serviteur  ‘Abd Al-Kebîr Al-Belghîthî (que Dieu soit avec lui dans les deux mondes, amen) dit à son puissant maître : « Mon père, le maître Môulay[1] Hâchim Al-Belghîthî (que Dieu le protège et le bénisse dans ses jours) m’a permis de rédiger la biographie de notre maître, celui qui sait et qui est parfait, l’unique et l’aboutissant, Sîdî Mohammed Ibn Al-Habîb (que Dieu l’agrée), le maître qui fonda notre confrérie sainte et aimée, Al-habibiyya  Darqâwiyya Châdhiliyya. Alors, j’ai obéi à son ordre et j’ai demandé l’aide de Dieu le Très Haut. Et Il me procura par sa grâce les moyens au point qu’il m’est devenu facile de réunir et d’écrire cette biographie bénie. »

Que Dieu récompense pour nous notre maître. Que Dieu sanctifie le secret que Dieu a déposé en lui ; secret qui a été à l’origine de l’apparition  de ce souffle divin.

J’ai intitulé cette biographie  ‘’Ithaf al-Labîb bi tarjamati cheikh Sîdî Mohammed ibnou Al-Habîb‘’ « Trésor des intelligents à travers la vie du maître Sîdî Mohammed Ibn Al-Habîb ». Que Dieu le Très Haut en fasse une œuvre purement destinée à Sa noble face. Amen.

Il est celui qui connaît Dieu le Très Haut (le gnostique).

Il est, parmi ceux qui savent, celui qui guide vers Dieu selon Sa permission.

Il est le modèle de ceux qui prennent le chemin, portant l’étendard de la confrérie, faisant l’unité entre la Loi et la Vérité intérieure.

Il est « l’unique mohammadien ».

Il est le maître accompli, notre maître Abou ‘Abd-Allah, Sîdî Mohammed Ibn Al-Habîb, Al-Amghârî, Al-Idrîssî : Hassanî par son ascendance, Mâlikî par son école, Châdhili par sa confrérie et son affiliation, Mohammadî par ce qui émanait de lui comme par ce à quoi il s’abreuvait.

Il était (que Dieu l’agrée) parmi les plus illustres des savants qui appliquent leur science, et parmi les plus aînés des maîtres profondément ancrés.

Il était un des imams avérés, gratifié de signes divins, et d’une dignité éminente.

Il était le soleil de son temps dans le ciel de la sainteté et de la gnose.

Il a joui de l’approbation et de l’admiration dans l’esprit des hommes au point que témoignent de sa sainteté le particulier comme le général.

SA NAISSANCE ET SA CROISSANCE

              Il naquit (que Dieu l’agrée) à Fès autour de l’année 1871 (1290 de l’Hégire). A l’origine, ses ancêtres venaient de Marrakech où il est lié à Môulay ‘Abd-Allah Amghâr qui est enterré à Tameslôuht près de Marrakech et qui laissa comme descendance Sîdî ‘Alî et Houssain. Cette branche de la famille émigra vers le Tafilalet. Le père de notre maître, Sîdî Al-Habîb (que Dieu l’ait en pitié), émigra à Fès et s’y installa. Il appartenait à une famille prospère et pratiquante. De ce fait, notre maître grandit dans un climat moral fait d’honnêteté et d’élévation, enveloppé du regard de ses parents, avec la plénitude de la considération et de l’amour. Ainsi était-il (que Dieu l’agrée) l’unique pour ses parents.

SES ÉTUDES

           Quand il eut atteint l’âge de raison, son père (que Dieu l’ait en pitié) l’envoya à l’école coranique située au niveau du pont Abou Ro’ôus dans le quartier des Charâbliyyines. C’était en l’an 1876 (1295 de l’Hégire). Il mémorisa le Noble Coran dans de brefs délais sous l’autorité du juriste (fqih) Sîdî Ibn Al-Hâchimî AsSinhâjî (que Dieu l’ait en pitié). Il l’apprit également sous la direction du pieux juriste Sîdî Ahmed Al-Filâlî (que Dieu l’ait en pitié) à l’école de la qasba an-nouwwâr.

Or, il arriva que l’école mentionnée soit visitée par un des saints de Dieu le Très Haut, un de ceux qui sont maîtres des états mystiques. Il s’adressa au juriste en désignant les élèves, les regardant avec une grande perspicacité de regard et il dit : « Celui-ci deviendra boucher et celui-là couturier ; celui-ci cela et celui-là ceci. » Il révéla à tous les élèves ce qui leur arriverait dans le futur, jusqu’à ce qu’il désigne notre maître et qu’il dise : « Celui-ci sera un savant qui pratiquera ce qu’il sait, un homme de dévotion (jusqu’aux scrupules) et qui invoquera Dieu, un maître qui enseignera. »

              Vraiment, depuis le temps de son enfance, il était (que Dieu l’agrée) aimé des savants qui mettent leur science en pratique ainsi que des pieux saints de Dieu le Très Haut. Il dit (que Dieu l’agrée) : « Des grâces que j’ai reçues de Dieu, il y a ma rencontre avec nombre de connaissants  Dieu (gnostiques). Parmi eux, il y a ceux dont j’ai profité du regard et de la pieuse prière. Il y a également ceux qui m’ont gratifié de leurs colloques que j’ai ensuite travaillés, de leurs conseils que j’ai ensuite imités, et (finalement) de ce qu’ils sont (dans tout leur être). Il y a enfin ceux dont j’ai appris et dont j’ai pratiqué les prières litaniques. Parmi ceux dont le regard et la pieuse prière m’ont le plus profité, il y a le maître connaissant Dieu le Très Haut Sîdî Mohammed Al-Ghayâtî. La raison de ma rencontre avec lui fut qu’un noble descendant du Prophète de haute lignée dénommé Môulay  ‘Alî avait l’habitude d’appeler à la prière chez nous à la qasba an-nouwwâr. Il m’aimait en Dieu le Très Haut. Aussi il insista pour que je visite le maître et j’acceptai. Quand nous fûmes parvenus à la porte de sa maison, Môulay ‘Alî frappa délicatement et Sîdî Mohammed Al-Ghayâtî sortit lui-même, ouvrit la porte et le fit entrer, lui seul. Ensuite le descendant du Prophète que nous avons mentionné l’informa de mon état et que j’étais venu pour le visiter dans l’amour de Dieu le Très Haut. Alors il m’autorisa à entrer. J’entrai, je le saluai et j’embrassai sa main. Il commença à me regarder et moi, de confusion et de crainte révérencielle devant sa majesté, je baissai les yeux en sa présence. Ensuite, il m’interrogea sur mes occupations. Je lui répondis que j’étais occupé à la lecture du Coran et que, à l’heure d’aujourd’hui, grâce soit rendue à Dieu, je l’avais mémorisé. Je me préparais donc à l’étude des sciences religieuses. Alors il pria pour mon bien et il m’autorisa à réciter un certain nombre de fois l’invocation « Dieu nous suffit. Il est le plus excellent protecteur. » Il était – que Dieu l’agrée – de ceux qui restent coupés du monde dans leur demeure. Il mourut – que Dieu l’ait en pitié – en l’an 1318 de l’Hégire.

               Il commença – que Dieu l’agrée – à étudier à la mosquée Abou Jounôud et il apprit du docte juriste Sîdî Mohammed Al-Irârî  Al-Ajrôumiyya et As-Soullam de Bennânî, ainsi qu’une partie de Ach-Chamâ·il al-Mouhammadiyya de Tirmidhî. Puis il rejoignit – que Dieu l’agrée- la mosquée Al-Qarawiyyin en l’an 1881 (1300 de l’Hégire) où il commença à puiser dans les mers de la science, à étancher sa soif et à apprendre des poèmes sur tous les arts. Il resta attaché à ses augustes maîtres que nous allons mentionner, tant par la précision que par l’exactitude.

  • Il apprit du maître de la communauté et du maître en Islam Sîdî Ahmed Ibn Khayyât Az-Zakârî Al-Mourchid al-mou‘în et une partie du Sahîh de Boukhârî, ainsi que Al-Hikam al-atâ·iyya et d’autres ouvrages scientifiques.
  • Il apprit du docte juriste Sîdî Abou Bakr Ibn Al-‘Arabî Al-Binâni AtTuhfa dans le commentaire d’AtTâoudî Ibn Sôuda ainsi que Al-Jâm fi âdâbi al-alim wa al-moutaallim du maître Khalîl.

Notre maître (que Dieu l’agrée) a dit en évoquant ces deux savants illustres dans le cadre de la présentation de son exposé sur ses maîtres en sciences : « J’ai terminé la lecture de Al-Hikam d’Al-‘Atâ·iyya  avec des adeptes originaires de Meknès. Je l’avais déjà lu avec exactitude et précision  sous la direction du maître de la communauté et du maître en Islam Sîdî Ahmed Ibn Khayyât Az-Zakârî (que Dieu lui procure le bien de notre part). J’avais également appris de lui les sciences de la pratique du culte ainsi que du correcteur Sîdî Abou Bakr Ibn Al-‘Arabî Al-Bennâni, père du juriste Sîdî Al-‘Abbâs Bennânî. Je lui suis resté attaché pendant longtemps et j’ai étudié avec lui de nombreux arts et je suis celui qui raconte. »

  • J’ai aussi étudié auprès du docte juriste, chef du conseil scientifique soufi, Ahmed Ibn Al-Jîlâlî Al-Amghârî Al-Moukhtasar du maître Khalîl.
  • Auprès du juriste Sîdî ‘Abd As-Salâm Al-Houwârî j’ai appris Az-Zaqâqiyya et ses commentaires qu’il avait lui-même composé.
  • Du juriste Sîdî Khalîl Al-Khâlidî j’ai reçu Al-Alfiyya de Makôudi et Al-Môudih.
  • Auprès du docte juriste et descendant du prophète Mohammed Ibn Ja‘afar Al-Kitânî j’ai étudié une partie de Jam al-jawâmi et de Al-Masnad de l’imam Ahmed Ibn Hanbal.
  • Du docte juriste, érudit dans les sciences et dans les arts, Sîdî Mohammed Ganôun, une partie de Moukhtasar al-khalîl et le résumé du Moukhtasar as-said et le Tawhîd al-mourchid dans le commentaire de Tayyeb Ibn Kîrâne.
  • Du juriste Sîdî Mohammed Ibn ‘Abd Ar-Rahmâne Al-Fîlâlî, Al-Mourchid al-mouîn.
  • Du juriste soufi Sîdî Hamâd AsSanhâjî une partie de Al-Moukhtasar d’Al-Khalîl ainsi que Ach-Chifa li-l-qâdî ayyâd et une partie de Al-Mourchid al-mouîn de Miyâra.

Du docte et noble descendant du Prophète, gardien excellent des sciences et plus spécialement de la science du hadîth, maître en Islam et aimé de Dieu le Très Haut, Sîdî ‘Abd Allah Al-Badrâwî, le commentaire de Boukhâri par Al-Qastlânî. Notre maître (que Dieu l’agrée) s’exprima ainsi au sujet de ce savant éminent : « Parmi les choses dont Dieu me gratifia, il y eut la rencontre avec le noble juriste, le docte savant, l’excellent gardien, le maître de la communauté en son temps, notre maître et notre seigneur ‘Abd Allah Al-Badrâwî. Il était le chef des idrissides nobles descendants du Prophète et la raison pour laquelle je le rejoignis fut que mon oncle paternel, Sîdî AsSiddîq, faisait partie de ses amis et des membres de sa confrérie. Or, il l’avait interrogé à mon sujet et il lui avait dit : « Veille sur Sîdî Mohammed Ibn Al-Habîb, ton neveu, car il aura une très grande importance. » Et mon oncle m’ordonna de le visiter. J’ai obéi et je suis allé chez lui, dans sa maison rue Bahâj dans la Tala‘a de Fès. Or, quand son regard se posa sur moi, il me salua plusieurs fois et il me fit asseoir à ses côtés. Ensuite j’ai baisé sa main et il m’a interrogé sur les leçons que je suivais à la Qarawiyyin. Je l’en ai informé et il se réjouit au plus haut point. Il pria alors pour mon bien et il me recommanda de participer à son cours du matin. Il y enseignait Al-Moukhtasar du maître Khalîl (que Dieu l’ait en pitié). Je me suis conformé à son ordre et il en résulta pour moi une immense capacité de mémorisation par sa bénédiction. En effet, il étudiait une seule sourate et choisissait ce qu’en disaient les commentateurs. Il ne laissait de côté aucun élément unique en son genre jusqu’à ce que tout soit mémorisé, compris et possédé à la perfection. Ensuite,  il ordonnait au récitant et il récitait Al-Kharchî et il continuait avec Al-Hâchiyya[2] d’AsSa‘îdî, puis avec Az-Zaw·id de Zarqânî, avec Al-Hâchiyya  de Bennânî. Ensuite, il abordait tout ce qu’avait apporté Ar-Rahôunî et il n’en laissait rien sauf s’il en décidait ainsi. Parfois il étudiait avec lui quelques objections où il s’opposait au maître Binânî ou à Zarqânî, et il soutenait sa recherche par le recours à la grammaire fondamentale et aux textes de la jurisprudence, ce en quoi il témoignait d’un savoir encyclopédique. Par la suite, il ouvrait le Sahîh de Boukhârî le 1er jour de Rajab et il l’achevait dans l’année. Il m’ordonna un jour de demeurer avec lui. Quand je lui avouai que je n’avais pas Al-Qastlânî, il me dit : ‘ Que Dieu te le rende facile, de sorte que tu sois avec nous cette année pour l’étude du Sahîh de Boukhârî du début jusqu’à la fin. ’»

                Il a appris d’autres sommités des savants et il était (que Dieu l’agrée) aimé de tous ses professeurs tant ils voyaient en lui de qualités intellectuelles, de perfection dans la courtoisie et d’honnêteté. Quand il eut terminé ses études à la Qarawiyyin, tous ses maîtres lui donnèrent la licence pour ce qu’il avait appris d’eux dans les sciences et les arts. C’était en 1891 (1312 de l’Hégire).

SON CHEMINEMENT SUR LA VOIE SOUFIE

             Il se passionnait (que Dieu l’agrée) pour la lecture des livres des maîtres soufis (que Dieu les agrée) tels que Ihyâ·ou ouloum ad-dîn et Al-Hikam al-atâ·iyya, AtTabaqât et Al-Wasâyâ et d’autres livres de ces auteurs. Son zèle l’attachait à Dieu le Très Haut et à personne d’autre. Il Lui demanda alors de lui adjoindre quelqu’un qui le guide vers Lui. Il dit (que Dieu l’agrée) : « Quand je m’adonnais à l’étude de la science, Dieu le Très Haut m’aida et j’acquis en un temps infime une grande valeur dans les sciences. Plus tard, au cours de mes moments de repos, je prenais connaissance de recueils de prédications évoquant la mort et ses affres. Ils trouvèrent en moi un cœur disponible et le sentiment de la mort prit possession de mon cœur. Je commençai à ne plus pouvoir dormir la nuit, si ce n’est durant quelques moments. Aussi me consacrais-je totalement à me préparer à la mort. Je priais durant la nuit treize prostrations (rak a) et cinq parties du Coran (ahzâb) avec leur psalmodie et leur méditation. Après avoir terminé, je me consacrais au dhikr (à l’invocation et au rappel de Dieu), à la prière spontanée (douâ·) et à la supplication jusqu’à ce que vienne l’aube. Alors, j’allais d’habitude à la mosquée et je priais la prière du matin. Parfois je priais avec les miens et je reprenais ce que j’avais lu. »

             Ainsi se passaient ses heures, toutes pleines du rappel de Dieu le Très Haut et du combat contre lui-même. Et il espérait que Dieu le Très Haut le gratifierait de quelqu’un qui le conduirait à Lui, afin qu’il Le connaisse ainsi, Lui le Très Haut. Il dit (que Dieu l’agrée) : « Ensuite, Dieu le Très Haut m’inspira que je devais chercher quelqu’un qui me prenne par la main parmi les maîtres des cœurs et dans la connaissance de Dieu. Et ce, afin qu’il prépare mon cœur à l’état mystique de lexcellence (ihsân) qui comprend l’état de vigilance (mourâqaba)[3] et l’état de contemplation (mouchâhada)[4] qu’évoque le hadîth de Jibrîl – que la paix soit sur lui – rapporté par Boukhârî et par Mouslim. Quand on l’interroge sur l’état d’excellence, il répond : « L’excellence consiste à adorer Dieu comme si tu Le voyais. Et, si tu ne Le vois pas, Lui te voit. » Or, il n’y a aucun doute sur le fait que cet état mystique, celui qui désire ardemment l’obtenir et le goûter, ne peut l’atteindre que par l’intermédiaire d’un connaissant Dieu. En fait, c’est ainsi que Dieu agit pour tout savoir : on n’obtient une réponse que par l’intermédiaire d’un guide Le connaissant.

                   Le premier dont bénéficia notre maître (que Dieu l’agrée) au début de son cheminement fut le maître gnostique, celui qui était anéanti dans l’amour des saints de Dieu le Très Haut, Sîdî Mohammed Lahlôu (que Dieu l’agrée). Il était représentant de la confrérie des tanneurs de Fès. Concernant l’occasion de leur rencontre, notre maître (que Dieu l’agrée) a dit : « La science commençait à me peser. Le culte et la consécration à Dieu le Très Haut faiblissaient en moi. Et je me disais en moi-même : ‘Ce que je cherche dans la science, c’est le travail. Or, tout ce qui est exigé de moi, je l’ai obtenu. Que me reste-t-il et quelles perspectives s’ouvrent à moi ? ‘ Je ne serai ni moufti[5] ni juge… Et une immense perplexité me gagna. Je me trouvai alors contraint de me tourner vers Dieu le Très Haut. Il me fut favorable, me prenant par la main et me guidant sur le chemin droit. Ainsi, alors que durant ce temps de perplexité je passais par les ruelles de pierre de la médina de Fès, mon regard se posa sur ce maître sur le chemin. Sur lui, il y avait une lumière qui s’étendait au-dessus de sa tête et qui s’élevait de manière sensible dans la direction du ciel au point que, je le pensais, tous les gens pouvaient voir cette lumière. Je l’ai suivi et je n’ai vu personne qui voyait cette lumière. Par la suite, j’ai appris que Dieu le Très Haut m’avait fait connaître ce don particulier pour qu’il me soit utile, et qu’Il l’avait caché aux gens. Alors, mon cœur s’attacha à le rencontrer. Or, mon oncle paternel, Sîdî AsSiddîq, était son frère en Dieu le Très Haut. Je suis donc allé chez lui et je lui ai appris ce qui m’était arrivé et ce que Dieu le Très Haut m’avait fait connaître de son don particulier. Il me dit : « C’est un homme ‘ouvert à Dieu’[6] et il rencontre des hommes de ceux qui ont reçu un don particulier et qui ont été choisis. Il les sert avec sérieux, sincérité, intention et amour. De ce fait, il a reçu une lumière immense et un grand bien. » Je lui  ai demandé de me le faire rencontrer afin que je l’informe de mon état et de la perplexité dans laquelle je me trouvais, afin qu’il m’aide et qu’il m’indique quand ils toucheraient à leur fin. Le lendemain, nous devions nous rencontrer chez mon oncle, dans sa maison. Il habitait à ce moment-là dans le quartier Sîdî  ‘Abd Al-Qâdir de Fès. Or, quand arriva le moment indiqué, je me suis rendu à la maison de mon oncle paternel et je ne l’ai pas trouvé. Aussi ai-je demandé à mon oncle paternel : « Mais où est cet homme ? » Il me répondit qu’il viendrait assurément. Mon oncle sortit pour aller au devant de lui et il le trouva alors qu’il arrivait à la porte de la maison. Quand il fut entré, il demanda à mon oncle : « Ô Sîdî AsSiddîq, prendrons-nous place dans la partie inférieure de la maison ou en haut ? » L’autre lui répondit : « Nous avons tout préparé en haut. » Il lui dit alors : « Il n’est pas de montée vers les hauteurs sans échelle par laquelle ascensionner car, quiconque entend s’élever sans échelle n’obtient pas ce qu’il désire. » Telle fut la première instruction que j’entendis de lui. Ensuite j’appris que pour sortir de l’état dans lequel je me trouvais il fallait toute une progression et un cheminement sous la conduite de personnes choisies et illuminées. Aussi, quand il fut monté et qu’il eut atteint la chambre où je l’attendais, je me tins dans un respect immense et je le saluai. Il s’assit à mes côtés, m’accueillit avec une grande affection et montra un grand souci pour moi.  

                Notre maître (que Dieu l’agrée) demeura en compagnie de Sîdî Mohammed Lahlôu durant cinq années. Il dit (que Dieu l’agrée) : « Vraiment, j’ai reçu d’un grand nombre de connaissants Dieu. Le premier d’entre eux qui m’éveilla à la vénération du soufisme et à la lecture des livres soufis était le connaissant Dieu Sîdî Mohammed Lahlôu, représentant  de la confrérie des tanneurs de Fès. Il ne s’asseyait avec nous que pour rappeler Dieu (dhikr),  discuter sur Dieu, glorifier les personnes en relation avec Dieu, glorifier les savants et les étudiants, glorifier tous ceux que Dieu a désigné comme responsables des musulmans et pour prier pour le bien. Il nous dit : « Méditez ce verset : ‘Un jour où l’argent  et  les enfants  ne  serviront plus à rien, sauf à celui  qui vient à Dieu avec un cœur pur. » (Les poètes,88-89). Nous étions cinq à nous retrouver avec ce maître jusqu’à ce qu’arrive du pays d’Ighrîss le maître, descendant du Prophète, Môulay Sa‘îd Al-Belghîthî. Il était porteur d’une lettre de Sîdî Al-‘Arabî Al-Houwârî (que Dieu l’agrée) et nous  avons trouvé qu’il était dans l’état des hommes de Dieu qui sont anéantis en Lui. Nous avons appris de lui la voie badawiyya darqâwiyya. Il me dit : « Ecoute de moi cette bonne nouvelle. Je te suis envoyé de la part de notre maître, le connaissant Dieu le Très Haut, Sîdî Al-‘Arabî Al-Houwârî qui m’a dit : ‘Va à Fès et enquière-toi de la qasba an-nouwwâr. Quand tu y seras arrivé, demande Sîdî Mohammed Ibn Al-Habîb et salue-le de ma part. Puis, enseigne-lui notre noble litanie (wird) avec notre permission. Annonce-lui que la direction de notre confrérie lui reviendra et que Dieu le Très Haut la revivifiera par ses mains. »

               Il demeura avec nous une année complète. Il lut à cette communauté de nombreux livres soufis, notamment Qawt Al-Qoulôub de Abou Tâlib Al-Makkî, Ih· de l’imam Al-Ghazâlî, ‘Awârif al-maarif de l’imam As-Sahrôurdî, le commentaire d’Ibn ‘Abâd sur le Hikam al-ata·iyya ainsi que les livres du connaissant Dieu Sîdî ‘Abd Al-Wahhâb Ach-Cha‘arânî dont AtTabaqât, Al-Ouhoud al-mohammadiyya et Majhôud al-machâyikh. Et il nous lut Al-Wasâyâ du maître suprême, Sîdî Ibn ‘Arabî Al-Hâtimî. Nous avons trouvé dans ces ouvrages tout ce dont l’étudiant peut avoir besoin pour atteindre l’étape mystique de lexcellence avec facilité et pour s’en approcher. Toute sa sagesse était portée par le Livre et la tradition du Prophète.

               Notre maître (que Dieu l’agrée), avant sa rencontre avec Môulay Sa‘îd Al-Belghîthî, en imposait tellement que personne ne parvenait à demeurer en sa compagnie et à s’asseoir avec lui. Et cela au point que, lorsqu’il passait dans son quartier, personne n’avait le courage de l’aborder, du fait de la crainte qu’il inspirait. Et lui-même n’arrivait pas à fréquenter les gens jusqu’à ce qu’il rencontre ce connaissant Dieu qui prit soin de sa formation jusqu’à ce qu’il parvienne à tempérer son comportement, qu’il puisse aborder les gens et qu’eux-mêmes puissent entrer en contact avec lui. Aussi notre maître (que Dieu l’agrée), quand il évoquait Môulay Sa‘îd, disait : « En vérité, ô Dieu, nous n’avons rien en dehors des grâces qu’Il nous octroie. » Il faisait allusion à ce maître et à la grandeur de son état.

            Après cela nous arriva le maître Sîdî Mâ·ou Al-‘Ainîn. Je le rencontrai à Fès Jdid et il se réjouit avec moi au plus haut point. Il me permit de lire tous les livres qu’il avait écrits sur la tradition du Prophète (hadîth), la jurisprudence et le soufisme. Il en résulta pour moi un immense souffle. Il m’autorisa également toutes les lectures du Coran (ahzâb), la récitation des Noms de Dieu, les litanies avec leurs rappels de Dieu (dhikr) et les dons qu’ils procurent à ceux qui les demandent.

                Je rencontrai son successeur et l’héritier de son chemin, Sîdî Ahmed Ach-Chams, et il en résulta pour moi un lien profond de cœur au point qu’il m’accompagnait partout pour la récitation des livres de la tradition du Prophète, des commentaires coraniques ou des ouvrages soufis. Et je l’ai aidé en ce domaine pendant à peu près dix années jusqu’à ce qu’il parte pour la « ville lumineuse » (Médine) où il s’est éteint. 

              Quand le maître connaissant Dieu le Très Haut, Sîdî Mohammed Ibn ‘Alî (que Dieu l’agrée) prit la tête de la confrérie, notre maître lui écrivit une lettre où il renouvelait son alliance avec lui. Il disait à ce propos : « Il m’a écrit (que Dieu l’agrée) et il m’a ordonné de venir à lui. Je me suis conformé à son ordre et je me suis rendu à Marrakech. Quand je suis entré en sa présence (que Dieu l’agrée), il fut empli d’une joie et d’une allégresse sans bornes. Et il me dit : ‘Toute la confrérie est venue à moi quand, toi, tu es entré chez moi.’ Et il ajouta dans une annonce que je reprends ici : ‘ Tu es chez nous, dans notre confrérie, dans la maison de Ibn ‘Ata· Allah, de la confrérie châdhiliyya. Et, tout comme Dieu a revivifié la voie châdhiliyya par Ibn ‘Ata· Allah, de la même manière Dieu le Très Haut revivifiera par toi cette confrérie bénie si Lui le veut.’ Alors je lui ai renouvelé mon engagement et je suis parti en sa compagnie pour une tournée où il augmenta d’une centaine le nombre des « pauvres » (adeptes) et durant laquelle il m’ordonna de donner des conférences aux adeptes sur les obligations de leur religion. Nous récitions Al-Mourchid al-mouîn d’abord, puis nous poursuivions par un livre sur le soufisme que j’avais trouvé chez eux intitulé Al-Mounâjât al-koubrâ. Or, ce livre contenait tout ce dont l’apprenant peut avoir besoin pour atteindre l’état mystique d’excellence. Voilà une phrase écrite par son auteur, Sîdî Ahmed Al-Badaouî (que Dieu l’agrée) : « Chacun des saints de Dieu le Très Haut est entré par la porte que Lui-même lui a ouverte. Moi, j’ai pénétré par la voie de la vénération des créatures de Dieu le Très Haut. La preuve de la validité de mon chemin tient dans cette parole du Très Haut : ‘ Celui  qui  exalte les choses  sacrées  de Dieu, un  bien lui est  destiné en son  Seigneur. ’ (Le pèlerinage 30). Alors monta dans mon cœur une exaltation des gens de la maison du Prophète. Et je ne pouvais plus voir un noble descendant du Prophète sans que je l’exalte en mon cœur au point que c’était comme si je voyais le Prophète lui-même (que la bénédiction et la paix soient sur lui). Quand je voyais un savant, je l’exaltais en mon cœur et sa lumière m’envahissait ; lumière qu’il tirait du Prophète (que la bénédiction et la paix soient sur lui). Et je vénère tous les musulmans, au sens où ils sont les serviteurs de Dieu le Très Haut, et je me vois moi-même indigne de me tenir en leur présence. De ce fait, j’ai commencé à glorifier le monde entier dont l’existence est connue par la science divine, qui est l’effet de son élection (de la spécification de sa volonté), l’expression de son pouvoir, de l’excellence de sa sagesse, de sa louange et de sa grandeur. En effet, partant de cela, les connaissants Dieu L’exaltent.

              Ensuite, je suis resté en voyage à peu près deux mois et quand nous avons atteint la tribu des sourâghna ils se sont réjouis avec le maître et avec les frères. Puis il m’a ordonné de revenir à Fès pour éclairer les gens sur Dieu à sa place. Il m’apprit le Nom unique et il m’ordonna de le mentionner souvent à la manière particulière dont il l’avait lui-même reçu de son maître Sîdî Ahmed Al-Badaouî. Ceci correspond à ce qu’écrit Ibn ‘Ata illah dans son Hikam : « Sans son apparition dans les composants, le regard ne le trouve pas. » Or, pas de doute que rien n’apparaît du cosmos si ce n’est ce que ce Nom renferme de science et spécialement de Dieu, de ses attributs, de ses Noms et de ses actions. C’est dans ces dernières que se révèle l’effet de ses Noms et attributs. Elle est leur expression visible dans les éléments. Le maître Abou Mawâhib Ach-Châdhilî dit : « Qu’y a-t-il dans l’existence si ce n’est ce que la science précède, ce que définit la volonté, ce que fait ressortir la capacité et ce qu’ordonne la sagesse ? » Et Ibn ‘Ata· Allah dans une autre sagesse : « L’univers tout entier est ténèbres. Mais à partir du moment où l’univers fut affecté par l’apparition de la vérité, quiconque regarde l’univers et ne le voit pas en elle, chez elle, avant elle ou après elle, ne reçoit pas d’illumination et les soleils des connaissances se dérobent à lui, voilant ce qui a été affecté par la vérité. » Aussi multipliais-je les mentions de ce Nom avec cette évocation. Alors, par sa bénédiction, mon cœur reçut des illuminations et j’entrais partiellement dans l’état mystique de vigilance et de l’état de contemplation qui appartiennent tous deux à l’état mystique de l’excellence (qui consiste à adorer Dieu comme si tu Le voyais, car même si tu ne Le vois pas, Lui, te voit). Et il est dit (que la paix soit sur lui) dans un hadîth de Jibrîl : « Quand il fut interrogé, Jibrîl vint pour vous enseigner votre religion. Il désigna le Prophète (paix et bénédiction soient sur lui), la soumission, la foi et l’excellence. Telle est la religion. » C’est à partir de là que la voie soufie s’est fondée sur la science de l’acquisition de l’excellence. Il faut un guide en ce domaine comme il en faut en toute science ; un guide qui explique ses règles et ses conventions. C’est ce qui m’a poussé à demander un guide. »

              Ensuite notre maître rencontra le maître connaissant Dieu le Très Haut Sîdî Abd ‘Ar-Rahmân Ibn Sâlih à Machra‘ Ach-Cha‘îr et ils s’entretinrent sur la manière d’être serviteur et esclave de Dieu le Très Haut. Ce maître a dit ceci : « Quand le sens fut révélé, il vint en premier vers les « pauvres » sincères (les adeptes des confréries) afin de leur permettre de se réaliser, eux dont la servilité se caractérise par l’ignorance, l’impuissance, la faiblesse et la pauvreté. Car, celui qui se réalise dans son ignorance, Dieu lui procure la science utile. Et ainsi pour l’impuissance, la faiblesse et la pauvreté ou Dieu te réalise dans sa puissance, sa force et sa richesse. »

SON TEMPS COMME MAITRE DE LA CONFRÉRIE

           Notre maître a dit (que Dieu l’agrée) : « Depuis la mort du maître Sîdî Mohammed Ibn ‘Alî et depuis que j’ai reçu la permission, je me suis méprisé trouvant ma personne indigne de cette fonction. Cela dura jusqu’à ce que viennent à moi les quatre maîtres : Sîdî Mohammed Ibn ‘Alî, Sîdi Al-‘Arabî Al-Houwârî, Sîdî Mohammed Al-‘Arabî et Sîdî Ahmed Al-Badaouî, que Dieu les agrée. Ils m’ordonnèrent d’apparaître au monde et de montrer le Roi adoré et vrai. Ils dirent : «  L’eau dont tu as bu est la plus douce et la plus sucrée des eaux. Aussi étends ta main à l’est et à l’ouest, et ne crains personne. » Ensuite, après cela, la permission de l’Elu (Al-Mustapha), que la bénédiction de Dieu et la paix soient sur lui, descendit sur moi. Descendit également la menace au cas où je n’apparaîtrais pas au monde. Alors, par Dieu, je suis apparu au monde. Et, ô Dieu, j’ai dit comme avait dit Ibn ‘Ata illah : « Mon Dieu, tu m’as ordonné de revenir au monde des apparences. Alors, fais-moi y revenir avec le vêtement de la lumière et la garde du regard jusqu’au jour où je reviendrai de là vers toi comme j’étais entré vers Toi à partir d’elles (monde et ses apparences), protégé secrètement du regard posé sur elles et élevé par l’ardeur loin  du fait de me reposer en elles. Vraiment, Tu es puissant en toute chose. »

              Alors les gens me marquèrent de l’intérêt et je commençais à leur faire des rappels, à les guider, à les conseiller sur ce qui concerne le pouvoir lié à leurs aptitudes et leur préparation. Je le faisais sans ambition et sans recourir à l’innovation blâmable. Et nous nous retrouvions avec les frères pour le rappel de Dieu (dhikr) et pour discuter du Livre de Dieu le Très Haut et de la tradition de son Messager (que la bénédiction de Dieu et la paix soient sur lui). »

             Notre maître demeura (que Dieu l’agrée) dans la compagnie de maître Sîdî Mohammed Ibn ‘Alî (que Dieu l’agrée) quatre années.

LA FONDATION DE LA CONFRÉRIE (ZAOUIA)

                En 1330 de l’Hégire (1911 selon le calendrier chrétien), le maître Sîdî Mohammed Ibn Al-Habîb (que Dieu l’agrée) fonda sa confrérie bénie, la Tariqua habîbiyya darqâwiyya châdhiliyya. Alors son soleil se leva, son temps fut savoureux et, entre ses mains, l’étendard de la confrérie se mit à flotter au vent. En effet, Dieu le Très Haut revivifiait par ses soins le chemin de la communauté. Après avoir formé la confrérie, il manifesta ses lumières et les hommes tirèrent profit de sa présence. Il se proposa alors de parcourir le pays. Se manifestaient en lui la connaissance, les mystères (car il avait commencé à invoquer Dieu le Très Haut), le chérissement de son Livre et de la tradition de son Prophète. Et il rejetait l’innovation blâmable.

            Il donnait des conseils, prononçait des sermons. Alors, les cœurs où l’intérêt dominait jusque-là, se tournaient vers lui. Et la victoire était de son côté quand il demeurait et se déplaçait. Les personnes entraient dans sa confrérie bénie par légions et ils suivaient son chemin dans l’authenticité. Le monde était témoin de l’advenue de ce connaissant Dieu qui renouvelait la religion. En effet, son être te rappelait à Dieu et sa parole te guidait vers Dieu. Ses colloques étaient tout de savoir, de paix intérieure et de calme. Toujours, entre le rappel à Dieu (dhikr) et l’enseignement, il accomplissait sa mission bénie de la  meilleure manière, prenant un soin particulier à chaque situation. « Car si Dieu mène sur le bon chemin par ta main un seul homme, c’est mieux pour toi que si le soleil s’était levé sur quelqu’un. » Il était au-dessus de tout reproche.

            Sa première Zaouia était située dans la ville de Fès dans la rue de la qasba an-nouwwâr. Ce fut le centre d’où démarra sa mission bénie (son appel aux hommes à revenir vers Dieu). Ensuite, il commença à tourner dans toutes les régions du Maroc, diffusant les principes de sa confrérie bénéfique qui consistent, en vérité, dans l’observance de la tradition du Prophète et dans l’abandon de l’innovation blâmable. Il a dit : « Ô Dieu ! Ensuite, ô Dieu, nous ne sommes pas passés par une ville, un village ou une campagne sans que ses habitants ne soient témoins du secours qui leur venait et de la propagation de la vie dans leur cœur. Tel est le mystère de la permission divine. De même, aucun « pauvre » (adepte) ne s’est assis avec nous (grâce soit rendue à Dieu), sans qu’il ne grandisse dans une connaissance qu’il n’avait pas, et sans qu’il n’obtienne de lui l’humilité et un cœur brisé. Pas un aspirant de la confrérie ne s’est assis auprès de nous sans que soit renforcée son inclination naturelle et élevée son ardeur à solliciter la connaissance de Dieu. Et aucun maître parmi les maîtres de ce temps, sans que grandisse un goût pour son goût et qu’il ne profite par nous de quelque chose qu’il n’avait pas. Tout cela, encore une fois, provenait du mystère de la permission et de la bénédiction qu’il contient. »

 

Combien avons-nous contemplé d’adeptes qui progressent

Vers l’état mystique de ceux qui s’enfoncent dans les mers.

Et nous avons guéri les cœurs de ce qu’ils ressentaient

Par le bienfait des sciences parce qu’elles ont du goût et ils ont grandi.

Et nous avons songé à une chose secrètement et elle est advenue.

Il est venu à nous celui que nous aimons par choix.

Et nous avons écouté de la présence de l’invisible en secret : « Toi, tu es l’aimé. » sois donc reconnaissant.

              Notre maître (que Dieu l’agrée) a dit en évoquant la grâce de Dieu le Très Haut dont il avait fait l’objet : « Et le Prophète (que la bénédiction de Dieu et la paix soient sur lui) m’a dit dans son annonce : Apprends, ô mon fils, que Dieu te prodigue des eaux douces et sucrées. ’ Je répondis : ‘ Ô Messager de Dieu, ces eaux sont-elles celles de la soumission, de la foi et de l’excellence ? ‘ Il me dit (que la bénédiction de Dieu et la paix soient sur lui) : ‘ Elles le sont. ‘ J’ajoutai : ‘ Ô Prophète de Dieu, ces eaux, les boirai-je seul ou moi et tous ceux qui se guideront sur moi ? ‘ Il me répondit : ‘ Tu en boiras, toi, et tous ceux de ma communauté (oumma) qui se guideront sur toi. ‘ Et Dieu réalisa pour nous ce qu’il avait promis par lui (que la bénédiction de Dieu et la paix soient sur lui). Ô Dieu, nous avons bu ces eaux. Et tous ceux qui ont été nos compagnons avec sincérité en boiront sans attendre. Aussi, louez Dieu, mon Seigneur, vous les « pauvres » et remerciez-Le de ce qu’Il vous a prodigué par lui, votre maître, en votre temps. »

           Et il dit encore : « Le maître de notre maître, Sîdî Mohammed Al-‘Arabî (que Dieu l’agrée) a dit : ‘ Ô Dieu, rien n’arrive si ce n’est ce que je reçois. ‘ Et moi, je dis : ‘ Les deux ont parlé de la grâce de Dieu. Ô Dieu, rien ne m’arrive si ce n’est ce qui est aimé. ‘ 

SA GUERRE SAINTE

           Le maître (que Dieu l’agrée) ne se contenta pas de diffuser la connaissance, de se dépenser en efforts, en prenant sur lui et sur son argent sur le chemin, sans oublier les difficultés et les écueils qu’il dépassa. Mais il participa concrètement à la guerre sainte contre la colonisation française quand il était dans le Moyen Atlas en compagnie de Sîdî  ‘Alî Amhawach (que Dieu l’ait en pitié). Ce dernier faisait partie des adeptes de la confrérie (tariqua) darqâwiyya. Il avait réuni ses adeptes et d’autres sous son commandement pour susciter un écho favorable à l’attaque de l’ennemi. Alors, ils se révoltèrent avec brutalité. Mais l’envahisseur était supérieur en nombre et en matériel. Et arriva ce qui devait arriver de leur affaire et que mentionne l’histoire : le témoignage de la sincérité de l’intention de leur combat.

         Le maître (que Dieu l’agrée) raconta les détails de ces combats, et ce pas seulement une fois et, de surcroît, à de nombreux adeptes. Mais – et je le regrette fortement – personne ne s’est intéressé à inscrire ces événements importants de sa vie. De ce fait ces informations manquaient dans la somme de ce qui manquait de ses faits et gestes.

SON PREMIÈRE PÈLERINAGE

Il se prépara à partir (que Dieu l’agrée) pour les « saintes demeures » afin d’accomplir le précepte du pèlerinage. Il avait été désigné comme chef de la délégation des pèlerins marocains par le Sultan Moulay Youssef (que Dieu l’ait en pitié), chargé de partager les dons du Sultan aux pauvres dans les deux mosquées sacrées et aux alentours. C’était un des souffles de l’esprit au milieu d’une vie. Et il visita le noble tombeau et il chanta avec les intonations du moment :

Nous sommes présents dans le jardin (tombeau de prophète)

Demandant l’acceptation et la satisfaction la meilleure.

Nous sommes venus avec le cœur brisé, la soumission et la stupeur

– Ô bien, qui est pour lui un refuge ?

– Aussi, demande à Dieu pour nous toute aide

Afin que nous obtenions ce que nous désirons au temps échu.

           Après avoir accompli ce qu’il devait à la dévotion, il voyagea au pays de Cham[7] et rencontra ses savants. Parmi eux, il y avait le maître Tawfîq Al-Ayôubî et Badr Ad-Dîn Ad-Damachqî. Il passa également par l’Egypte où il entra en contact avec de nombreux savants comme Bakhîth Al-Moutî‘î et le maître As-Samâlôutî. De nombreuses discussions eurent lieu entre ces grands savants et notre maître. De nombreux conseils scientifiques les incorporèrent. Finalement, ils trouvèrent  qu’il était (que Dieu l’agrée) une mer abondante de dons de connaissance infuse et directe aux sciences et aux connaissances variées. Alors il les éblouit par ce qu’il était. Ils furent touchés au cœur quand ils virent d’en haut ses bonnes actions et son enracinement dans les sciences, la perfection de sa sainteté et quand ils l’entendirent évoquer

           les mystères du chemin et les sciences de leur mise en œuvre. Ils lui demandèrent de rester chez eux. Cependant il s’excusa et il repartit vers son pays.

              Il fit un détour sur son chemin de retour par l’Algérie où il rencontra une foule de savants dont le maître Mohammed Ibn Jalôul qui appartenait aux savants de Blida. Et la confrérie attira ainsi à elle de nombreuses personnes, savants, notables et autres.

           Quand il entra à Figuig des savants l’accueillir avec, à leur tête, le maître en Islam Sîdî Mohammed Al-Qâdî. Il les trouva occupés à réciter le Sahîh de Boukhârî. Et ils lui demandèrent de se tenir avec eux. Il accepta et donna sa leçon d’explication de Boukhârî du début jusqu’à la fin, ainsi que Al-Mourchid al-mouîn. Il demeura avec eux neuf mois et la confrérie incorpora ainsi un nombre incalculable de nouveaux adeptes au point qu’il manquait de peu qu’il ne se trouve une seule maison sans aspirant à Figuig et dans ses environs.

TRANSFERT DE LA CONFRÉRIE À MEKNÈS

A son retour, notre maître (que Dieu l’agrée) quitta la ville de Fès après y avoir résidé durant vingt-six années comme maître et éducateur. Et il s’établit dans la ville de Meknès. La raison de ce déplacement tenait à la première visite qu’il avait effectuée avec un des aspirants de la confrérie. Il s’était rendu au mausolée du pieux saint Sîdî Sa‘îd Ibn ‘Outhmân (que Dieu l’agrée) avec l’intention de visiter Sîdî Mansôur qui était un des saints parmi les « seigneurs des saints ». Aussi prit-il avec lui un cadeau qui était une sorte d’habit et il avait l’intention de demander à ce saint qu’il lui donne à boire un breuvage spirituel. Mais quand il entra en sa présence, ce dernier s’empressa vers lui et lui dit : « Pose le cadeau là-bas. » Et il prit une coupe de thé et la lui tendit en disant : « Voici la boisson pour laquelle tu es venu. » Et quand le maître eut bu, il changea d’état. Il sortit de chez lui en publiant à haute voix la Majesté divine jusqu’à ce qu’il parvienne à la place de l’Hedime. C’est là que Sîdî Qâsim Al-Hilâlî le vit. Ce dernier connaissait déjà le maître quand il était en compagnie de Sîdî Mohammed Lahlôu, les deux étant inséparables pour les frères en Dieu. Alors, il le prit par la main et lui dit : « Ô mon seigneur, viens avec moi. » Et il alla avec lui jusqu’en sa demeure. Après que le maître eut retrouvé ses esprits, Sîdî Qâsim Al-Hilâlî lui proposa de demeurer chez lui. Il invita un juriste afin qu’il fasse connaissance du maître. Quand tous deux eurent discuté de questions de jurisprudence et d’autres sujets ayant trait au soufisme, ce juriste s’émerveilla du maître. Il ne se maîtrisait plus au point qu’il lui dit : « Ô mon seigneur, prends-moi par la main en Dieu le Très Haut. » Le maître lui répondit : « Cela, je ne le peux pas, car tu es déjà affilié à une confrérie et tu en es le responsable (moqaddem). » En effet ce juriste était affilié à une confrérie soufie pour sa bénédiction. Mais, du fait de l’absence de maître éducateur (chaikh attarbiyya) en son sein, ce n’était pas une confrérie qui cheminait bien. Le juriste insista pour adopter la litanie (wird) du maître et pour s’affilier à sa confrérie. Sur l’insistance de ses demandes, il l’accueillit, lui permit de réciter sa litanie et de répandre son chemin. Il fut établi comme premier responsable à Meknès. Une communauté d’adeptes se constitua alors sous sa direction. Ils se réunissaient au début dans la mosquée située rue Al-Fatyân.

                Le maître revenait souvent chez eux, une fois suivant l’autre. Ensuite il préconisa au responsable de chercher pour lui un grand emplacement à vendre, car il avait l’intention de s’établir dans la ville de Meknès. Or il appartenait aux décrets divins que le responsable entende parler d’une maison  entourée d’un grand jardin qui allait être mise en vente aux enchères publiques. Il entra aussitôt en contact  avec la personne concernée et il l’informa du désir du maître sur cette demeure. Ainsi fut rendue possible son acquisition. Le maître retourna à Fès et informa les « pauvres » (adeptes) qu’il avait pris la décision de se déplacer à Meknès. Quelques adeptes totalement adonnés à la prière et d’autres partirent avec lui. Ils travaillèrent à la construction de la Zaouia et à sa mise en valeur avec les frères de la ville de Meknès. A la fin des travaux, le maître s’y installa : c’était en 1356 de l’Hégire (en 1937 selon le calendrier chrétien). Il était alors dans sa 66ème année. La Zaouia était le but de ceux qui invoquent Dieu, le lieu de rencontre des connaissants Dieu, le refuge des chercheurs parmi ceux qui aspirent à la connaissance de Dieu le Très Haut. Elle était comme un phare auquel on se guide dans la nuit des ténèbres des passions et de la multiplication des groupes et des écoles qui se perdent.

LE RÔLE DE LA ZAOUIA DANS L’ÉDUCATION ET SON RÈGLEMENT

               Il vendit ce qu’il avait hérité de son père afin de parvenir à bâtir cette Zaouia qui recueillait de nombreux étudiants en sciences religieuses et des adeptes totalement adonnés à la prière. Il les prenait en charge (que Dieu l’agrée) pour le gîte et le couvert. Tous les voyageurs s’y rendaient également. Il n’obligeait aucun de ceux qui résidaient chez lui (que Dieu les ait en pitié) à adhérer à sa confrérie, ni à réciter sa litanie (Wird) ou des invocations particulières ou quoi que ce soit d’autre, si ce n’est la prière à l’heure prescrite avec la communauté.

             Une certaine fois, un des étudiants en sciences religieuses avait raté la prière de l’aube. Après celle-ci, le maître se dirigea vers la chambre de l’étudiant, frappa à la porte et, quand il sortit, le salua et lui dit : « Ô mon fils, je suis prêt à vendre mon vêtement pour vous afin que vous réussissiez vos études, mais je ne permettrai pas la négligence dans la prière rituelle, spécialement pour ceux qui, comme vous, étudient la science divine. » Aussi la Zaouia était-elle une mosquée dans laquelle les devoirs de la religion étaient accomplis, une école au sein de laquelle on trouvait les différents cours de sciences religieuses, une maison parmi les demeures de Dieu où le Nom de Dieu était rappelé du matin au soir.

           Elle avait son règlement particulier. Tout commençait à l’aube quand se levaient les adeptes pour la prière de la veille nocturne (tahajjud). Suivaient le rappel de Dieu (dhikr) et la prière spontanée jusqu’à l’heure de la prière du matin. Alors, un des « pauvres » appelait à la prière. Après l’appel, la Majesté de Dieu était rappelée selon une composition particulière. Ensuite le maître (que Dieu l’agrée) s’avançait pour diriger la prière rituelle avec les gens à la place de l’imam. Puis, après avoir accompli ce qui était prescrit, il priait la litanie (wird). Ensuite, le maître (que Dieu l’agrée) donnait sa leçon du matin. Après cela, tous les adeptes se levaient pour se rendre à leurs occupations : l’étudiant en sciences religieuses pour se rendre à son étude et le compagnon de travail à son métier ou à sa fonction.

              Il tenait une assemblée (que Dieu l’agrée) pour le rappel de Dieu (dhikr) et l’enseignement chaque nuit du vendredi. Quand ils avaient terminé le rappel de Dieu, il ordonnait à un « pauvre » doté d’une belle voix de lire ce qu’il pouvait du Noble Coran. Ensuite, il abordait l’explication selon les personnes présentes et en fonction de leur capacité de compréhension et de leur préparation jusqu’à ce que chacun ait pu recevoir sa part du sens des versets. Sa méthode se caractérisait par la simplification des significations et par leur mise en lumière. Son raisonnement et son ton étaient doux et on entendait dans ses explications ce qu’on n’avait pas encore entendu dans le domaine des connaissances et des mystères. Les savants le considéraient comme le sceau des commentateurs de son siècle.

LA RASSEMBLEMENT À L’OCCASION DE LA FÊTE DE LA NAISSANCE DU PROPHÈTE

              Comme cela est devenu une tradition, chaque année, le grand rassemblement se tient à l’occasion de la fête de la naissance du noble Prophète. Les « pauvres » se rendent en foule à la Zaouia, venant de toutes les directions et même de l’étranger, notamment des adeptes algériens, espagnols et anglais. Ces délégations se retrouvent pour vivifier cette vénérable mémoire. Les plus vénérables parmi les « pauvres » sont présents  pour garantir le succès de ce grand rassemblement, chacun prend en charge une part de la responsabilité de sorte que les choses se passent dans les meilleures conditions.

             Ensuite, la nuit de la noble naissance du Prophète s’ouvre par la lecture du Noble Coran, suivie par la récitation de poèmes que l’on chante avec l’esthétique appropriée et par le récit de la noble naissance du Prophète. Puis les « pauvres » se lèvent  pour le debout  spirituelle ou bien la dance spirituelle (‘imâra)[8] et, celle-ci terminée, ils reprennent la lecture du Noble Coran. Ensuite le maître (que Dieu l’agrée) donne une leçon où sont abordés les thèmes des versets qui ont été lus. On conclut enfin par une prière spontanée et les adeptes s’avancent pour saluer le maître. Ainsi se termine le rassemblement.

À LA BASE DE SA CONFRÉRIE

            A la base de sa confrérie (que Dieu l’agrée) sur laquelle il invoquait la grâce de Dieu, il y a l’encouragement des adeptes à la dévotion et, à travers elle, au respect des exigences de la pure loi divine et de la noble tradition du Prophète. S’ajoute à cela un double principe : voir en tout la volonté de Dieu et ne pas juger quiconque même s’il fait le mal. Il y a également le regard plein de vénération porté sur le cours de la création divine, le fait que les rassemblements s’entendent pour Dieu (et pour Lui seul), l’amour des frères en Dieu le Très Haut, l’accomplissement des engagements et la multiplication des rappels de Dieu le Très Haut (dhikr), spécialement pendant le dernier tiers de la nuit. Il disait en ce domaine : « De l’abondance du rappel de Dieu (dhikr) découlent les états de vigilance puis de contemplation. De ce fait, si le cœur du serviteur s’illumine et si le soleil de sa connaissance resplendit, il verra l’univers entier comme une grâce de Dieu qui lui est offerte, une grâce de création et une grâce de renforcement qu’on ne saurait ni évaluer ni dénombrer. Et il commencera à aimer Dieu le Très Haut dans sa nature, dans son intelligence et selon la loi. »

              Notre maître (que Dieu l’agrée) conseillait aux responsables, s’agissant des adeptes : « Qu’ils fassent des efforts dans leur conseil, dans leur direction, dans les questions touchant à leurs affaires, ainsi que dans leurs relations amicales avec eux. » De la même manière, il conseillait aux adeptes, s’agissant de leurs responsables : « Qu’ils les vénèrent, les respectent et suivent leurs injonctions. » Et il enjoignait à tous la nécessité de la communauté.

 

SON RÔLE DANS LE RÉVEIL SCIENTIFIQUE ET SOUFI DE MEKNÈS

             Notre maître (que Dieu l’agrée) découvrit que la ville de Meknès avait été oubliée par le réveil scientifique. Ses écoles notamment étaient pleines d’un flot de gens qui ne ressentaient aucune urgence pour l’acquisition du savoir et de la religion. Aussi décida-t-il de solliciter la création d’un centre d’études par Son Altesse Royale le Roi Mohammed V (que Dieu l’ait en pitié). Il demanda l’avis de quelques personnages éminents de Meknès et ils lui indiquèrent que cette question n’avait pas été examinée jusque-là. Alors il demanda à Dieu le Très Haut que Sa volonté se fasse. Il alla voir Sa Majesté le Roi (que Dieu l’ait en pitié) et il lui dit : « Tu as créé un centre d’études religieuses et scientifiques à Marrakech et Meknès est la capitale de ton ancêtre. Aussi dois-tu la faire passer avant les autres. » Sa Majesté le Roi (que Dieu l’ait en pitié) lui répondit : « Vraiment, Fès est trop proche de Meknès. » Le maître lui répondit alors (que Dieu l’agrée) que, même si Fès était proche, l’étudiant qui y résidait jusqu’à l’obtention de sa licence en sciences religieuses ne saurait que faire s’il retournait alors à Meknès. S’il trouvait quelqu’un se tenant à une ligne de conduite intègre, il pourrait bien sûr chercher avec lui. Mais s’il ne trouvait personne, cherchant la raison qui l’avait conduit au strict nécessaire pour vivre, il abandonnerait la science qui, pour lui, avait déserté son pays. Au contraire, que se serait-il passé s’il avait trouvé des étudiants tout adonnés à l’étude des sciences religieuses ? Sans aucun doute et sans hésitation il se serait engagé spontanément avec eux. Ensuite, il aurait obtenu le succès dans une fonction convenant à son état de savant. La réponse de Sa Majesté le Roi (que Dieu l’ait en pitié) fut favorable.

                 Ainsi notre maître (que Dieu l’agrée) contribua au réveil scientifique de son pays. Ensuite il se mit à enseigner les sciences à la mosquée Az-Zaîtouna de Meknès. Il ouvrit un cours d’interprétation domaine dans lequel il était extrêmement doué. Participaient à cet enseignement un grand nombre d’étudiants en sciences, de savants et d’autres personnes. Il le fit suivre de la leçon sur al-Rissala  (les traités),  il commenta pour tous Al-Mourchid al-mouîn et, pour les adeptes qui assistaient à ses cours, par Al-Hikam al-a·iyya. Beaucoup de gens profitèrent de ses cours au point que le « pauvre » ignorant comprenait les choses de sa religion. Ainsi, qui a étudié et appris auprès de lui demeurait inébranlable dans son cœur et restait influencé par ses paroles.

Mer de science et rosée pour ceux qui l’ont pris comme imam.

Il offrit de la connaissance et du bien intarissable.

Il est dans la connaissance une mer luxuriante.

Lui, il est dans le bien comme la pluie abondante qui tombe.

Le maître a enseigné et le chemin a purifié.

L’isthme entre les deux mers ramène à Dieu.

SON SECOND PÈLERINAGE

Notre maître (que Dieu l’agrée) se rendit une autre fois auprès des « saintes demeures ». Ainsi chante la langue de son âme :

Nous avons remercié la Divinité en tout temps

Que ce soit pour le don de la visite au Prophète,

Et également à tous les compagnons qui reposent à Baqî‘[9]

Ainsi également qu’à la descendance de la pure,(Fatima Zahrae[10])

Ainsi qu’à tous ceux qui font partie des martyrs,(Uhud[11])

Ainsi finalement qu’à l’oncle paternel du Prophète.

EFFORTS POUR DIFFUSER LA CONNAISSANCE ET LA CONFRÉRIE

                  Après le retour du maître (que Dieu l’agrée) de ce saint voyage, il se rendit présent dans de nombreux lieux du Maroc en général, et en Algérie en particulier, pour appeler les hommes à Dieu le Très Haut (dawa). Il mettait à profit toutes les occasions qui se présentaient  pour rappeler aux gens leurs devoirs et pour les réveiller de leurs négligences. Ainsi un grand nombre de personnes revinrent sur le chemin suite à ses prédications, par la grâce de Dieu le Très Haut. Plusieurs suivirent le chemin et adhérèrent à sa confrérie (Tariqua) bénie d’où leur était venue la protection de la divine providence. Il continua à appeler les hommes à Dieu et à mener son saint effort (jihâd). Il n’épargnait pas sa peine pour Dieu le Très Haut.

                  Quand il rentra à Meknès, les délégations commencèrent à affluer vers lui, venant de toutes les directions pour puiser à sa surabondance. Ils ne le quittaient pas tant qu’ils n’avaient pas reçu sa bonne nouvelle et sa grâce. Combien soigna-t-il de maladies du cœur ? Combien releva-t-il de l’exclusion ? Combien ont bénéficié de sa direction spirituelle ? Car personne ne le quittait sans être devenu un compagnon dans la connaissance de Dieu.

               Quelques maîtres de son temps vinrent à lui et il les enseigna : il les remercia pour leurs bonnes œuvres dans la conduite de la communauté vers le bien. Mais il critiqua tout ce qui, en eux, offensait l’image du soufisme véritable qui est la source ordonnée de lexcellence (ihsân). Il les qualifia de communautés perdues et les invita à revenir à la pureté de la loi divine et à la noble tradition prophétique.

               Il était (que Dieu l’agrée) l’unique en son époque et en son temps. Le Seigneur lui conféra gloire et grandeur en lui octroyant des dons divins du côté du savoir et du côté de la connaissance de Dieu le Très Haut. Tel est le choix de Dieu qui vient sur celui qu’Il veut. Et Il atteste de cela par ses paroles : « Et si nous avions voulu déployer ce que Dieu nous a accordé par lui, des volumes n’y auraient pas suffi. » Il dit également : « Il me mit à l’écart par des connaissances qui n’existent que chez ‘ l’unique mohammadien ‘ dont on ne compte qu’un représentant par siècle. Si les maîtres ont abondé en son temps, l’autorité lui revient sur tous, qu’ils le reconnaissent ou non. »

Ô celui pour lequel tu as réuni les connaissances qui distinguent,

Est-ce que leur compilation désigne un autre hors de ta communauté ?

Dieu revivifie par toi la voie droite qui avait disparu.

Mais cette crise de la connaissance est dans tes mains (tu en détiens la clef).

Cette déclaration du Cheikh date de l’année 1375 de l’Hégire

(1956 selon le calendrier chrétien).

               Au nombre des bienfaits de Dieu le Très Haut obtenus par les mains de notre maître (que Dieu l’agrée), il y a la conversion à l’islam d’un grand nombre d’étrangers, provenant spécialement d’Espagne et d’Angleterre. Il concourut ainsi  à la diffusion de la religion islamique dans les pays étrangers. Sa confrérie a désormais atteint toutes les contrées du monde. De nombreuses Zaouias se sont également établies pour l’enseignement des sciences religieuses. Elles portent les principes du soufisme et de la conduite droite dans tous les lieux où s’exerce l’appel de Dieu (dawa). Pourtant, la plus grande partie des Zaouias reste située au Maroc, surtout dans le Sahara marocain, et en Algérie.

               Dieu le Très Haut mit en lui la perspicacité  de ses maîtres (que Dieu les agrée tous). La confrérie (Tariquadarqâwiyya châdhiliyya reprit vie à son arrivée et elle atteint son apogée à son époque. Il corrigea les conceptions erronées qui sont répandues sur le soufisme par ses ennemis en donnant l’exemple du véritable soufi sunnite, et cela par ses actes plus encore que par ses paroles. Tout homme peut témoigner de ce que qu’il en a vu chez les aspirants de la confrérie et ses disciples. Il était (que Dieu l’agrée) le souffle des souffles de l’éternité en son temps et son bienfait appartient aux bienfaits que Dieu le Très Haut octroie à ses serviteurs.

 SON TRÉPAS

                  En 1391 de l’Hégire, le maître (que Dieu l’agrée) sortit de sa maison accompagné de quelques adeptes. Il projetait de partir en pèlerinage à la « maison sacrée de Dieu » pour la troisième fois. Toutefois il retourna à son Seigneur dans la ville de Blida en Algérie. C’était le lundi 23 du mois de dhou al-qaida. Il approchait les 101 ans et il fut enterré dans une Zaouia qu’on avait inaugurée une semaine auparavant. Son corps (que Dieu l’agrée) fut déplacé au bout de vingt jours pour qu’il soit inhumé dans la Zaouia principale de Meknès à la fin du mois de janvier 1972. Ce fut fait à la demande des siens, de ses compagnons, de ses aspirants et conformément à ses souhaits.

             Un grand nombre de personnes (savants, adeptes, notables et autres) était présents à son enterrement. Il avait vécu 35 ans à Meknès, ayant passé 61 années au total à la tête de la confrérie. Avec la mort de ce maître illustre, l’islam a perdu un homme irremplaçable et la confrérie soufie un axe de ses axes.

Le temps a promis d’amener un être comme lui.

Mais, ô temps, tu n’as pas tenu ton engagement. Aussi repens-toi !

                  La vie de notre maître (que Dieu l’agrée) avait consisté à se tenir à l’appel des hommes à Dieu (dawa) et au combat spirituel (jihâd) sur son chemin. Il a laissé comme écrit son saint recueil de poèmes (dîwân) qui a été traduit en plusieurs langues, réimprimé à maintes reprises et diffusé dans le monde entier. Il a également laissé un commentaire sur l’oraison (connu sous le nom de Hafîdha)[12], un commentaire sur la prière rituelle machichiyya et un livre intitulé AtTabaqât à la mémoire des connaissants Dieu qu’il avait rencontrés, sans oublier de nombreuses lettres. Cependant certains de ses écrits n’ont pas été imprimés, qu’ils aient été perdus, qu’ils aient été conservés par des particuliers qui y tiennent par ce qu’ils sont autographes ou qu’ils soient définitivement volés.

                 Que Dieu ait en pitié notre maître, Sîdî Mohammed Ibn Al-Habîb, qu’Il l’agrée et qu’Il le récompense de la part des musulmans de la meilleure des récompenses. Qu’Il le place dans les hauteurs des hauteurs avec Ses pieux serviteurs. Vraiment  Il est Celui qui écoute et qui répond par excellence. Il est le Puissant sur ce qu’Il veut. Grâces soient rendues à Dieu, le Seigneur des mondes.

               Notre maître (que Dieu l’agrée) laissa derrière lui des hommes qui se levèrent pour les affaires de la confrérie. Ils marchèrent sur son chemin authentique, spécialement en usant du rappel de Dieu (dhikr) qui donne connaissance  et qui est action. Il y eut d’abord l’excellent rapporteur des traditions prophétiques, le Cheikh  Sîdî Foudôul Al-Houwârî, que Dieu le Très Haut l’ait en pitié. Parmi eux aussi le connaissant Dieu le Très Haut, le Cheikh Sîdî Mohammed Belqourchî, compagnon de la confrérie de Tôurôuk. Egalement, parmi ses plus célèbres successeurs (que Dieu l’agrée), il y eut notre maître, notre professeur, notre modèle pour aller à Dieu le Très Haut, le rénovateur de la confrérie, celui qui a donné vie au modèle, celui qui a fait apparaître ses lumières et ses mystères, le le Cheikh  Sîdî Môulay Hâchim, que Dieu sanctifie son secret et qu’il nous abreuve de sa coupe. Car il est celui qui gère les affaires de la (confrérie) Tariqua habîbiyya darqâwiyya châdhiliyya, l’éducateur vivant et présent. Dieu le Très Haut a revivifié par ses mains la marche de cette confrérie bénie. Que Dieu le récompense en bien, de notre part et de la part de tous les musulmans. Il continue à avancer sur le chemin de son maître et des maîtres du chemin (que Dieu les agrée) quand il fait vivre la nuit de la naissance du noble Prophète, quand il diffuse les principes du vrai soufisme établi sur le Livre de Dieu et la tradition du noble Prophète, et quand il initie à la sainte litanie (Wird) tous ceux qui cherchent à adhérer à cette confrérie bénie, mohammadienne dans ce qu’elle donne à boire et dans ce qui émane d’elle.

 

LES ÉTUDES DE CHEIKH SIDI MOHAMMED BEN AL-HABIB

Livre

Auteur

Sujet

Professeur

Al-Ajrôumiyya

Ibn Ajroum al-Sanhâjî

(d. 723/1323)

Grammaire

Sîdî Mohammed

al-Irârî

As-Soullam al-morawnaq fi ilm al-mantiq

Abd al-Rahmân b.

al-Saghîr al-Akhdarî

(d.953/1546)

Logique

Sîdî Mohammed

al-Irârî

Charh As-Soullam

Abou Abd allah Mohammed b. al-Hassan al- Bennânî (d.1194/1780)

Commentaire sur le livre précédent

Sîdî Mohammed

al-Irârî

Ach-Chamâ·il al-Mouhammadiyya

Abou Isâ Mohammed b. Sura al-Tirmidhi (d.279/892)

Une collection de hadith (traditions du Prophète ) décrivant le Prophète dans ses éléments physiques et ses vertus

Sîdî Mohammed

Al-Irârî

Al-Mourchid al-mouîn

Abd al-Wâhid b. Achir (d.1040/1631)

Théologie d’Achari

jurisprudence Malikite et soufisme en 317 /couplets

Sîdî Mohammed Ibn Khayyât Az-Zakârî

Sahîh al-b Boukhârî

Imam Mohammed  Al- Boukhârî (d.256/870)

Collection fondamentale des traditions du Prophète (Hadith)

Sîdî Mohammed Ibn Khayyât Az-Zakârî

Kitab al-Hikam

Ahmed b.Mohammed ibn Ata illah al-askandari (d.709/1814)

Soufisme

Sîdî Mohammed Ibn Khayyât Az-Zakârî

Charh al-Touhfa

AtTâoudî Ibn Sôuda (d.709/1309)

Loi civile

Sîdî i Abou Bakr b.al-Arabî Bennânî

Al-Jâm‘ fi âdâbi al-‘alim wa al-mouta‘allim

Cheikh Khalil

Comportement

Sîdî Abou Bakr b.al-Arabî Bennânî

Al-Moukhtasar du maître Khalîl

Ibn Ishaq al-joundi al-Khalil (d.776/1374)

jurisprudence Malikite

Ahmed b. al-Jîlâlî al-Amghârî

Al-Alfiyya

Jamal al-Din b. Malki

(d.672/1274)

Grammaire

Sîdî khalil al-Khâlidî

Charh al-Alfiyya

Abou Zayed Abd al-Rahman b.Alî Salih al-Makûdû (d.807/1405)

Commentaire sur le livre  Al-Alfiyya

Sîdî khâlil al-Khâlidî

Al-moudah fî woujouhi al-qirâ·ât wa ilaliha

Ibn Abi Maryem

(d.565/1169)

Récitation coranique

Sîdî khâlil al-Khâlidî

Jami al-Jawami

Jalal al-Dîn suyûti

(d.911/1505)

Une collection de traditions du Prophète  (actuellement publiée en 15 volumes) qui comprent al-Jami al-saghîr et al-Jami al-Kabîr

Al-Charif Mohammed b.Jâfar al- Kettânî

Al-Mousnad

Ahmed b.Hanbal (d.241/855)

Une collection de tradition du Prophète qui comprend 26000 hadiths compilés par l’imam et fondateur de l’école juridique Hanbalite

Al-Charif Mohammed b.Jâfar al-Kettânî

Talkhis al-Miftah

Saad al-Dîn Masud ibn Umar ibn Abd Allah al-Taftazani (d.792/1390)

Rhétorique

Sîdî Mohammed guenoun

Al-Mourchid al-mouîn( commentaire sur une section de la théologie )

Tayyeb ben Kîran

(d.241 / 855)

Théologie

 

Al-chifa bi tarif  houqouq al-Mostafa

Qâdî iyyad

(d.476 / 1149)

Compilation de passage de la vie  du Prophète , de versets coraniques, de traditions concernant le Prophète  ,ses qualités et ses vertus  ainsi que ce qu’un fidèle a besoin de savoir et de faire à un égard et eu égard aux autres Prophètes

Sîdî hammâd al-Sanhajî

Charh al-Mourchid al-mouîne

Mohammed al-Mîyara al fâssî (d.1072 / 1661)

Théologie, jurisprudence, soufisme

Sîdî hammâd al-Sanhâjî

 ACCOMPLI AVEC L’APPROBATION DE DIEU

 

[1] L’appellation « Moulay » est reprise de l’arabe marocain. Il s’agit d’un terme honorifique s’appliquant aux nobles descendants du Prophète.

[2] Al-Hâchiyya: Ce sont des commentaires sur le livre, des ajouts, des additions et des clarifications.

[3] Quand on sait que Dieu voit tout.

[4] Se tenir en présence de Dieu en toutes ses actions et pensées comme si on Le voyait.

[5] Savant musulman habilité à formuler des décisions de justice (fatwa).

[6] Connaissant les sciences de Dieu.

[7] Syrie, Jordanie, Liban, Palestine.

[8] Après s’être préparés par des chants rythmés et quand un des adeptes se sent touché au plus profond, les adeptes se mettent en cercle. Un responsable (moqaddem) se tient au milieu et les guide par des gestes dans la répétition rythmée et scandée du cri « Dieu le vivant » (Allah Al-Hayy). Ceci peut amener les adeptes à entrer dans un état extatique.

[9] Lieu où sont enterrés les compagnons du Prophète.

[10] Fille bien-aimée du Prophète :

[11] Montagne où s’est déroulé une bataille entre les troupes musulmanes et les qoraichites.

[12] Le maître (que Dieu l’agrée) lisait cette oraison le matin et le soir.

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